Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 mai 2020 2 05 /05 /mai /2020 10:01

Il était une "Foix" en Ariège.

Le Premier échec de Gaston-Phoebus Comte de Foix.

 

Un jour de la mi-novembre 1369, Gaston Phoebus, comte de Foix revenait de chasser le sanglier à Siguer. A cheval, il allait tout devant, sur la piste boueuse qui descendait sur Laramade. 

Derrière lui également montés, venaient ses deux compagnons habituels : Pierre Izarn, son Veneur, sec et noir, au nez court et aventureux, aux yeux, gris et assurés, avec le sourire insolent qu errait toujours sur ses lèvres trop minces, et Guillaume de Montgaillard, une sorte de chapelain et de Silène, enflé de vin comme une outre d’Espagne, à mi-chemin du Christ et de Manès, mêlant le latin au parler de l’Ariège, politicien, astrologue, protecteur des sciences et des lettres, paillard, prédicant, cynique et pochard incorrigible. Et puis, trottant à pied dans les ornières accouraient les chiens et les valets ; tous crottés, qui criaient et hurlaient, les bêtes faisant des sauts et les hommes des chutes. 

Enfin, beaucoup plus en arrière, un char portait les animaux tués et gémissait de toutes ses roues sur le chemin entre les forêts rousses et les rochers gris qui s’élevaient des deux cotés jusqu’au ciel couleur tourterelle.

De son menton en galoche Izarn designe Gaston-Phœbus au chapelain : 

« Il baisse, dit-il d’un ton sarcastique, Encore deux ou trois saisons et il sera tout juste bon à chasser la perdrix avec les faucons de ses dames.»

 

https://4.bp.blogspot.com/-jWLIK11UvKI/W3gjq3KAKsI/AAAAAAAAJxE/nMXWwmNl0ZARqjRqZ8Fi_JU5as_tjq19wCEwYBhgL/s280/Capture%2Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%2B2018-08-18%2Ba%25CC%2580%2B15.37.30.png

 

 

Lui, Pierre Izarn, à soixante ans, alerte, sobre, perpétuellement amusé par le grand air et par l’essoufflement des bêtes chassées et des chasseurs se revanchait à présent sur le comte, qui avait longtemps paru increvable. 

Pourtant Gaston-Phoebus, ne devait avoir que trente-sept ou trente-huit ans. Acharné sur les femmes, mangeant et buvant à l'excès, ayant tous les matins  la gueule de bois ; par surcroît avide, querelleur, combinant rapts et rapines, envieux de Charles de France dont il était l’allié grâce à la diplomatie de Guillaume, touche à tout, illettré, dictant un traité de la chasse à son chapelain qui en réécrivait tous les chapitres en s’aidant des lumières de Pierre Izarn, appelant à sa cour de Foix, les savants, les théoriciens, les hurluberlus et les dégénérés de tout acabit ; s’entourant d’illuminés qui prétendaient connaître les arcanes de la création et, du destin, aimant beaucoup trop la bonne vie pour aller guerroyer lui même en Castille avec Duguesclin, le comte Gaston-Phébus sentait échapper sa jeunesse et avec elle, cette imagination qui nous fait croire que nous pouvons tout savoir, tout vouloir, tout aimer. Sa chevelure blonde, jadis enflammée de soleil, raréfiée maintenant par la débauche, prenait le ton des seigles  trop pâles de la haute vallée de Suc. Et les rides que chacun de nous porte en naissant, qui disparaissent ensuite sous l’éclatante poussée de la chair et qui reviennent enfin aux vieux jours, commençaient à marquer les paupières et les joues du seigneur.

 Guillaume de Montgaillard en réponse, y alla de son prêchi-prêcha habituel :

 « Tout ce qui naît meurt, et tout ce qui meurt renarait ! dit-il en se tournant un peu vers Izarn (et sa bouche dégagea une odeur prononcée de futaille aigrie).

 « C’est ainsi que nous verrons un jour le noble comte avec des bras creux, des genoux cagneux et un ventre à la poulaine. Mais, si Dieu veut, dans un autre monde Gaston-Phébus retrouvera sa chevelure et son corps de vingt ans. »

 Pierre Izarn accentua l’incongruité de son sourire. Il allait parler, mais le comte se retourna sur son cheval.

« Nous n’arriverons jamais à Foix ! dit-il d'un air mécontent.

 Ses compagnons rectifièrent la position sur leurs montures Gaston-Phébus était fatigué. La selle meurtrissait son séant et la face interne de ses cuisses. Ce diable de cheval avait un trot très dur. Et puis, l'air froid du crépuscule ayant coagulé la sueur de ses vêtements de dessous, le comte, à chacun de ses mouvements avait la sensation de heurter des linges mouillés. Ses deux courtisans eux, étaient protégés l’un par sa couenne de porc et l'autre par son cuir de vieux bouc. Quant aux chiens et aux valets, à courir derrière les sires, ils soufflaient tous une chaude buée... Justement, on était arrivé au bas de la piste sur le grand chemin de Foix à Vicdessos, Foix au nord, sept lieues bien allongées... Vicdessos, au Sud une lieue à peine. Et, à Vicdessos, il y avait une magnifique hôtellerie : donc, grand feu, broches, vin et tout ce qui s’ensuit. 

Izarn et Montgaillard, immobiles derrière Gaston-Phoebus arrêté ne soufflaient mot. Ils savaient que le comte se déciderait pour le gîte proche ; mais s’ils, eussent proposé d’aller de ce coté-là, le redoutable chef, croyant sa lassitude reconnue , serait entré en fureur. Pas commode, le sire : l’année d’avant, il avait occis son fils unique et légitime dans un accès de colère.

 

Il commençait à bruiner, le ciel prenait les teintes de l’ardoise de Siguer et un petit vent qui n’avait l’air de rien du tout — à peine de quoi soulever les feuilles mortes épandues sur la route — amenait les gouttelettes de la pluie dans les yeux, sur la bouche et jusque dans le cou de Gaston-Phœbus.

 « A Vicdessos » cria-t-il.

 Et, immédiatement, derrière lui lancés à vive allure, Izaru et Montgaillard prirent avec flegme le tournant vers 1e Sud, tandis que les valets tirant les chiens et tirés, par eux rigolaient comme  simples d’esprit de cette pluie qui achevait la fête. Peut-être, insensibles à tout ce qui pouvait tomber sur eux, souhaitaient-ils qu’il chut des hallebardes sur les omoplates du tout puissant Gaston-Phœbus. Ainsi rit aujourd’hui la ribambelle des gosses lorsqu’il grêle sur le dos de leur instituteur, ou rit aussi la soldatesque, quand un brave orage crève les épaules de l’officier.

 

https://2.bp.blogspot.com/-GtlGw_rS9qA/W3gjZkNRrDI/AAAAAAAAJxA/FqoQUHiaSTgQxxY2wfGiAqGgo1CF8lJGwCEwYBhgL/s280/Capture%2Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%2B2018-08-18%2Ba%25CC%2580%2B15.17.22.png

 

 

 Il faisait nuit et pluie, lorsque le cortège entra en courant dans les ruelles de la petite ville de Vicdessos. Des raies verticales de lumière brillaient aux volets joints des boutiques. Il fallut ralentir dans le dédale de ces rues non pavées et gluantes. On piétinait sur des choses molles. Les chiens du comte voulaient bagarrer des confrères locaux qui erraient dans la brume, la queue rentrée entre les fesses et fuyaient en couinant. Un valet s’étala dans le purin, tout le monde riait de fureur.

 

 Maître Toussaint Barbe, le patron de l'hôtellerie, vint lui-même ouvrir la porte, tandis que sa femme et ses fils dérouillaient 1’huis immense des écuries. Tout fut envahi à la fois au milieu des cris et des appels. Insoucieux des chevaux, des valets et des chiens, qui se caseraient comme ils pourraient, Gaston Phœbus et ses deux parasites s'installèrent dans la grande salle. Maître Barbe jeta un fagot dans la cheminée des reflets gigantesques firent palpiter les murs.

 

 Gaston-Phœbus n'était pas venu depuis près d’un an. Maître Barbe, sa femme, ses fils et jusqu'au plus petit qui avait une plaque de fiente au derrière comme les poussins nouvellement nés portent encore un peu de jaune d’œuf au cul, tous patron, patronne et patronneaux, tournaient, couraient, volaient, saluaient et se cognaient dans l’empressement. Pour peu ils eussent léché les bottes de Gaston, astiqué le ceinturon d’Izarn et fait reluire les énormes fesses du chapelain. Mais Gaston-Phoebus, dès qu’il fût séché et ragaillardi ne porta son attention que sur la nouvelle servante qui disposait la table, les plats, les cruches et les écuelles. 

 « Une belle garce ! » dit-il au chapelain qui, aussitôt leva les yeux au plafond en murmurant : « Seigneur jésus, encore une ! » cependant que le veneur satanique et debout, regardait par derrière la chevelure ravagée du comte son cou rouge et strié, et un coin de ses joues, qu’on apercevait, flasque, raboteux avec des poils roux mal rasés.

 Comment t'appelles-tu ? demanda Gaston-Phoebus à la jouvencelle.

 Elle s’inclina sans affecter la grâce, mais elle était fine et souple quand même;

 — Gavachoune, messire, répondit-elle.

 — Gavachoune ? répéta le comte en demeurant bouche bée. Ce nom en oune achevait de l’exciter.

 — Cela doit signifier quelque chose comme : petite fleur de blé noir, expliqua le chapelain qui regardait de tous côtés pour trouver le pinard.

 Le blé noir se dit ici « gavach ». L’origine de ce mot… continua-t-il.

 Il n’en savait rien du tout de l'origine, mais il allait l'inventer lorsque le comte, d’un œil fixe et rond le fit taire.

 « Et d’où es-tu ? demanda-t-il.

 « De Suc, messire…»

 De Suc ? Ah, oui, ce petit village de haute montagne où les gens doivent vivre de lait, de neige, de seigle et de blé noir.

 

Elle était jolie, cette fille de Suc : pas très grande, mais bien roulée dans une pâte ocre et rose, des épaules un peu larges, des bras pleins, des seins insolents, des hanches bien tournées comme les flancs d’un vase. Elle portait la coiffure neigeuse du pays sur ses cheveux bruns à boucles, elle avait le teint chaud, des yeux de miel, des joues à fossettes et, surtout une belle bouche fleurie d’esprit et de modestie. Elle était vêtue d’un corselet rouge, lacé d'une mince lanière de cuir jaune et d'une robe feuille morte. Le sire de Foix ne cessait de la regarder, comme un beau fruit à cueillir tout à l’heure. Mais il fallait d'abord se restaurer. Sans Cérès et sans Bacchus, l’amour est plutôt froid.

 

https://1.bp.blogspot.com/-lSFj3ZaoLSQ/W3gjbkjG7wI/AAAAAAAAJxM/o-Ay2245D0sRTFZUqIzg23ZfEQpgbqEXQCEwYBhgL/s400/Capture%2Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%2B2018-08-18%2Ba%25CC%2580%2B15.32.31.png

 

 

 Les trois hommes se mirent à table et ce fût un franc repas. La femme Barbe ne se lassait pas de cuire, Gavachoune de servir et les convives d'avaler. Le vin était un peu petit, opinait le chapelain, mais il n’est que d'en boire un coup de plus. Et il arrosait à force les œufs, jambon, volailles, pommes, fromage, noix et châtaignes grillées. Le veneur toujours sec et raide tapait surtout sur le pain de seigle et buvait rarement, tandis que Gaston Phœbus en prévision des prouesses à réaliser cet nuit avec Gavachoune, bâfrait comme un porc à la Noël. Au fond de la salle, il y avait une petite porte fermée qui donnait dans les écuries.

 « Paix, là dedans ! Paix au nom de Jésus-Christ ! criait de temps à autre Montgaillard, lorsque les chevaux frappaient du sabot, tandis que les valets ricassaient et que les chiens s’engueulaient pour quelque croûton.

 

 La mère Barbe alla coucher les enfants, Gavachoune monta aussi et il ne resta plus que le patron qui servait sempiternellement de nouveau vin à ses hôtes. Le chapelain commençait avoir les yeux mouillés de bonnes larmes. Il était plein jusqu’à la margelle il se mouchait copieusement à la nappe et bénissait de temps à autre une outre de vin qui était dans un coin et qu'il prenait pour le dernier né de la famille.

 « Dieu te rende sage et droit mon enfant ! disait-il.

 Et puis un moment après :

 « Puisses-tu vivre honorablement et rendre longtemps à ton père ce qu'il fait pour toi. » 

 Ou bien quelque autre chose de ce genre. Maître Barbe, sous le manteau de 1a cheminée, en bavait de stupéfaction.

 

 Enfin, Gaston-Phoebus se leva, s’affermit sur ses jambes et prit l'escalier tandis que le veneur souriait de ses yeux plissés ses et de sa bouche rentrée «Jésus, Seigneur, encore une !…» gémissait Guillaume de Montgaillard. Il ne doutait pas le comte n'allât coucher avec Gavachoune. Et, en effet, mû par l'instinct du mâle en chaleur, ce fût bien 1a porte de la servante que poussa Gaston-Phoebus. Mais il s'arrêta net. il croyait trouver la pucelle au lit. Une lumière brillait au mur, à un anneau de fer et Gavachoune toute habillée était debout, les yeux en arrêt sur le sire : ces yeux qui n'étaient plus de miel, mais flambaient comme ceux d'une chienne en colère.  Lui, il ouvrait les bras. Pas d'erreur possible. Alors elle avança vers Gaston-Phoebus, allongea la main. Il crut qu’elle allait, lui caresser le haut des cuisses, ou autre chose, Mais elle se contenta de tirer violemment du fourreau la dague de chasse qu'il portait à la ceinture et, tenant la lame d’acier de sa main droite, elle montra rapidement son ventre de la gauche :

 « Toco-y sé gaousos ! dit-elle (touches-y si tu oses !)

 Par le diable, elle avait l’air tellement décidé que Gaston-Phoebus baisse les yeux et le reste.

 « Sais-tu que tu es bien hardie ? observa-t-il bonnement.

Tu es la première qui m’ait résisté. »

 Elle demeurait immobile, le poignard en arrêt. Lui il était un peu étonné. Il cherchait des yeux un miroir : n’était-il plus Gaston-Phœbus ?

 « Je suis Gaston-Phœbus de Foix, expliqua-t 'il d’un ton où il y avait un peu d’inquiétude :  tout le monde savait pourtant qu’il était le plus bel homme du comté !

 — Serais-tu le bon Dieu ! riposta-t-elle. Mon homme à moi est en Castille où, il fait la guerre. Il a suivi les Français et Duguesclin. Il s’est battu à Montiel, il reviendra bientôt. Il ne m’épouserait pas et il ne tuerait si je couchais avec un autre.

Toi, tu a t-on conté, tout le blé, tout le vin, toutes les bêtes, toutes les femmes qui y sont. Et moi, ajouta-t-elle en montrant à peine son ventre de la main gauche, toute ma fortune est là… Toco y sé gaousos ! répéta-t-elle.

 

 Gaston Phoebus n’insista pas. Il ne redemanda même pas sa dague et descendit, l’oreille basse... Le lendemain, dès l’aube, la troupe se prépara à se remettre en marche. Gavachoune apporta elle-même aux cavaliers le coup de l’étrier. Elle tendit une coupe de vin à Gaston-Phœbus qui avait la gueule de bois de tous les jours.

« A ta santé et à la santé de ton homme ! dit-il en levant la coupe. Par le diable ! ajouta-t-il, tu as raison. Chacun son bien et, désormais ton « Toco y sé gaousos »  sera la devise de mon comté. »

 

Et c’est ainsi que naquit la devise du comté de Foix, à Vicdessos un matin de novembre 1369.

 

Henri Sabarthez

Contes et Chroniques

Foix 1950

 

https://2.bp.blogspot.com/-XvP9BiXUV0M/W3gjcO6PNdI/AAAAAAAAJxM/jiZ3K106gJ8Z78BSSet2-gdJbArj0bEpwCEwYBhgL/s280/Capture%2Bd%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran%2B2018-08-18%2Ba%25CC%2580%2B15.31.34.png

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Belle histoire.
Répondre
F
Mille mercis pour cette page édifiante à tous les sens du terme.<br /> Cela fait du bien de lire une belle page d'histoire
Répondre

Présentation

  • : Lercoul Ecologie Ruralité, cool...
  • : Association de sauvegarde et de protection du patrimoine, de l'environnement et de la ruralité des vallées de Lercoul et de Gnioures
  • Contact